« La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin est une libération ». Henri Matisse
Au nombre de sept, par une infinité de déclinaisons et de nuances, elles marchent, volent, se marient, se déchirent, fractionnent et façonnent le monde selon la dextérité de leurs humeurs volatiles. Immatérielles, elles sont invisibles et pourtant elles sont partout. On pense selon elles, on ressent en fonction d’elles. Les couleurs : le trésor de l’arc-en-ciel, bijoux esthétiques, filtres du monde. Mais aussi vecteurs de conventions culturelles et reflet des idéologies des sociétés : c’est là l’objet d’étude de Michel Pastoureau dans de nombreux de ses ouvrages. En les lisant, mes yeux se sont ouverts sur la portée du prisme chromatique que l’on oublie bien souvent d’analyser. Que disent-elles de nous ? Quels secrets renferment-elles ? Hermétiques et mystérieuses, reconstituer leur histoire s’avère être pour lui un défi de taille. Dans la mode, la couleur est essentielle. Elle passe par le noir et le blanc, camélias de Gabrielle Chanel, clichés d’Helmut Newton : la lumière jaillit, les formes se dévoilent, les masquent tombent. Et soudain éblouis par la densité et la saturation d’une couleur trop vive, par une synesthésie inexplicable de nos sens, elle résonne en nous et nous évoque des sensations par milliers.
rouge
violence virulente qui vire au mauve, les roses rouges saignent et leurs épines ont blessé les petits coeurs tout mous des jeunes amants, coeurs endoloris par l’afflux sanguin qui fait prendre à la chair cette odeur bestiale et qui fait à leur esprit perdre la raison.
violence de cette passion soudaine, subite, subie : des flammes dans les yeux elle ne porte qu’une robe couleur rubis et porte à ses lèvres ourlées un liquide délicieux qui l’emporte dans l’élan redoutable de l’ivresse.
bleu
vague à l’âme, légèreté du coeur, tristesse aiguë. les limites entre les horizons sont troubles, tout n’est plus qu’un souvenir lointain, imaginé, vécu ?
vert
liberté instinctive et animale. La vie prend ses airs de brute, sauvage, elle attaque et t’attaque. tout est possible, tout est de trop. Démunis face à une puissance qui dépasse les altérations de l’esprit humain : paysage pittoresque qui t’émeut, reprends ta vie entre tes mains.
blanc
le silence des êtres disparus suspend dans l’air leur souvenir. Si fort, assourdissant. Une photo sort de l’appareil où rien n’apparaît : les quelques secondes où il faut se l’imaginer avant que le charme ne soit rompu. Des secrets gardés par des corps inanimés qui se meuvent pourtant dans l’inertie étourdissante de l’amour : la beauté pure d’une larme qu’on prend innocemment pour une perle.
rose
ne pense à rien, laisse toi emporter par les folies de ces verres qui font qu’on meurt d’envie de t’embrasser ; ton cou, ta nuque, tes paupières, la fossette au coin de ta joue. ne pense à rien, ta main trace par elle-même son chemin. Sur le papier elle dessine des formes divines, sur ton corps elle se perd. Ta tête explose en feux d’artifice, ta jeunesse butine. Printemps de ta vie, aube de tes jours, ton souffle s’altère et ton coeur court.
noir
comme le regard assassin d’une femme blessée. Le monde s’effondre, jungle apocalyptique, étrange brasier dont il ne reste rien. Les pupilles se dilatent quand le temps s’arrête. On y voit rien. Rien. Désillusion, doutes, peur immense face au chaos orchestré derrière ses cils recourbés. Il fait froid et humide et la solitude ronge tout ce qu’il restait. Mais par terre, des cendres fument et, lentement, tu renais par elles. Résurrection.
Amélie Zimmermann