Plus que quelques jours avant nouvel an. Nouvelle année : bonnes résolutions, nouveaux départs, établissement et réalisation de projets sérieux… Quoique. C’est surtout l’occasion d’observer d’un peu plus près la très sulfureuse tendance propre à la mode de s’adonner à l’art de la fête (car quand il s’agit de mode, la fête devient un art). Budgets illimités pour frissons garantis, scandales interplanétaires et coups marketing en or, les soirées dans la mode sont des passages obligés, des réunions d’affaires dans lesquelles se croisent les plus grandes fortunes du milieu. Forcément, elles nourrissent les tabloïds et captivent la foule, pratiques quasi rituelles pour ceux qui en font partie. Focus sur une controverse épineuse.
Comme dans toute autre dimension de l’art, la mode peut s’étudier et être analysée chronologiquement, décennie après décennie. Elle est une suite logique d’avancées et de régressions de la société, elle suit ses tendances pour parfois en provoquer, avant-garde qui souvent ne se comprend qu’avec le recul et la distance qu’instaure le temps. En ce sens, il est intéressant de s’arrêter sur l’une des premières et des plus passionnantes ères de ce phénomène : les années folles. Gatsby ou l’homme mystérieux dont on connaît mieux les soirées attitrées que l’identité ; c’est les robes à franges, coupes à la garçonne et jazz en fond sonore, la prohibition qui fait couler à flot l’alcool et charme ses consommateurs clandestins. Le succès du film de Bar Luhrmann sorti en 2013, avec Di Caprio en tête d’affiche et la participation d’artistes musicaux très en vogue, est bien la preuve de cette fascination qu’entretient l’opinion publique pour un monde autant esthétique que dangereux. Mais c’est aussi un courant de liberté intellectuelle et l’émancipation des femme que véhiculent ces années mythiques. Elles abandonnent la torture du corset et adoptent un vestiaire plus masculin, jouant ainsi avec les genres. Monocles et chapeaux cloches à la Sylvia von Harden, les femmes ont une dégaine, elles ont du chien, du caractère, ce qui ne semblait pas permis jusque là. Fumer, conduire en voiture et boire de l’alcool étaient des activités réservées aux hommes : elles se les approprient désormais et inventent l’idée d’une femme contemporaine.
L’austérité de la 2ème Guerre Mondiale fait se perdre le goût de la fête. Il faut attendre les Swinging Sixties londoniennes pour qu’il revienne en force. Réelle renaissance culturelle, c’est l’occasion pour une génération nouvelle de bâtir une société qui lui ressemble. On doit à Mary Quant la minijupe, reprise ensuite par Courrèges, mais surtout vivement critiquée par Gabrielle Chanel qui représente alors un passé révolu et qui enterre définitivement sa carrière à cause de ses dires sur la « laideur des genoux » des femmes. La mode bouleverse ses codes, se réinvente pour survivre. Les mannequins ont désormais des noms, on connaît et reconnaît surtout Twiggy qui incarne la désinvolture d’une jeunesse cherchant à s’amuser. Révolution sexuelle, musicale, artistique : on se croise dans des clubs à Londres, on danse sur les Beatles. Les grands noms du moment sont Andy Warhol, Gainsbourg ou Gainsbarre selon l’humeur, Jim Morrison et le club des 27 qui avec les excès de l’époque s’agrandit peu à peu. Et surtout en matière de mode, YSL : Yves est passionné et brule sa vie d’un brasier douloureux, inspiré par Bettie Catroux qu’il rencontre dans la célèbre boîte de nuit parisienne Chez Régine, dont l’enseigne existe toujours aujourd’hui. Les drogues (LSD, héroïne) circulent entre les groupes, chez les « génies créateurs », la Beat Generation comme modèle. Saint Laurent signe l’un de ses premiers parfums dans les années 70 avec l’espoir de faire contenir dans son flacon un résumé de l’esprit sixties, addiction et sensualité se consumant irrésistibles et destructrices. Il l’appelle Opium. Le scandale, toujours et encore.
Les nineties vont en faire une spécialité. La mode se déconstruit et entre en collision avec les bonnes habitudes qu’elle avait prise dans les années 80. Années durant lesquelles la perfection des canons de beauté, des corps des supermodels, de leurs cheveux et sourires étincelants, couplée à celle des vêtements hyper glamour dont elles étaient les égéries vont vraisemblablement inspirer une répulsion nauséeuse à la génération suivante. Une nouvelle vague de talents émerge : jeunes créateurs, japonais notamment (Yohji Yamamoto, Rei Kawakubo), mannequins plus jeunes encore (Jaime King, Kate Moss en tête de file), photographes subversifs (Corinne Day, Davide Sorrenti). Désillusionnés et pour la plupart un peu perdus, ils lancent l’Anti Fashion : une mode qui ne se veut pas mode, décousue et déséquilibrée. Elle remet en question l’idée même de beauté et cherche à déranger son public. Noircie, salie, elle n’hésite pas à représenter les dysfonctionnements les plus insupportables de la société : la consommation en masse de l’héroïne, qui s’achète facilement et à bas prix. Les journalistes, et même le président des Etats-Unis Bill Clinton lui-même diabolisent la mode qui selon eux promeut cette tragédie. Ils nomment ce mouvement qu’ils prennent pour simple tendance l’heroin chic. La mode se défend comme elle peut face à cette accusation que beaucoup trouvent injuste : la finalité de la mode n’est pas de montrer des vêtements, mais de montrer la société et de pointer là où ça fait mal. Qu’il s’agisse du showbusiness (industries de la musique et du cinéma) ou tout simplement de la rue, on fait la fête sans mesure, sans retenue, dans l’abandon le plus total. Cette transe frénétique se meurt avec l’overdose de Davide Sorrenti, âgé de 20 ans à peine. Sa mère rédige une lettre ouverte pour rendre compte de ce que cet étourdissement de festivités camoufle en réalité : la détresse d’une jeunesse agonisante. Vogue publie en Europe ce témoignage poignant, le monde ouvre enfin les yeux sur un problème dont la portée va hélas bien plus loin que celle du monde de la mode.
Depuis les années 2000, les magasines se délectent des frasques des célébrités se pavanant aux soirées organisées par les maisons de couture, les blogueurs, les stylistes. Désormais réelle institution codifiée, la soirée dans la mode est un faire-valoir où il faut savoir se montrer. Si certains jouent la carte de la débauche (Paris Hilton, grande adepte), aujourd’hui à l’heure du politiquement correct c’est avec des pincettes qu’on fait la fête. Des marques de grande distribution comme H&M n’hésitent pas à résilier leur contrat avec certains de leurs mannequins dont le comportement n’est pas irréprochable. Toujours est-il que quoiqu’il s’y passe, ces soirées laissent derrière elles des légendes urbaines, et devenues mythiques elles entretiennent avec soin leur image qui fascine et qui, surtout, fait vendre.
money never sleeps, juste comme la mode.
Je vous souhaite une année 2017 riche et belle
Amélie Zimmermann