Été 2017. Retour dans ma campagne, je quitte Paris. Les sentiers des bords des routes, les champs et les vignes, l’air un peu frais et les tracteurs un peu partout ; les visages familiers et les montagnes sages à leur place, le relief du paysage, le calme du silence respecté. La campagne.
Je suis partie il y a un an faire mes études à Paris. Excitée par la ville, par le vombrissement des autos en masse sur le périph, la tête qui tourne des horizons nouveaux qui se présentent, excitée par les gens de tout genre autour de moi et les rues toutes inconnues qu’il me reste à découvrir, je pose mes bagages dans un petit studio prête à savourer la grande vie. Celle qui ne s’arrête à peu près jamais et qui fait battre mon coeur un peu plus vite. Paris où l’on croit pouvoir tout trouver, mais où l’on peut se perdre aussi. Insatiable et insatisfaite, j’ai regardé les silhouettes déambuler dans les rues, j’ai vu des différences partout dans les attitudes, les gestes, les corps et les styles, et pourtant j’ai vu la même énergie onduler sur les visages, se propager entre les arrondissements et les artères de la ville. J’ai aimé les lignes tortueuses et labyrinthiques d’un métro crade et obscur, j’ai aimé les repas terribles du restaurant universitaire, j’ai aimé les soirées où j’ai laissé trop d’argent, les expositions où j’ai contemplé sans toujours comprendre mais parfois juste admiré. Paris m’a laissé dans un état d’alerte extatique et permanent où j’ai ouvert mes yeux pour voir un monde un peu plus grand. Pour y perdre les dernières pensées trop petites qui continuaient à hanter sauvagement les allées de mon esprit, s’ouvrant lentement sur une pente douce et dangereuse. Les grands boulevards, les immeubles haussmanniens, les traces du temps et de la pollution sur les façades m’ont fait respirer un air bizarrement frais, bizarrement résurrectionnel. J’ai inhalé l’air des possibles et des choix, celui qui entre comme une bourrasque violente dans les poumons, fait le vide, et parfois toxique comme un poison indélébile y laisse sa trace éternelle. Dans la ville, je pouvais être anonyme, n’importe qui, n’importe quoi, ce que je voulais et ce que je voulais faire croire. Relâcher les cordes qui me tenaient captive à la campagne dont j’avais imaginé qu’elle était ma prison.
Été 2017. Quand je reviens, un bonheur simple et pur. Le plaisir des choses qui ont fait ma vie d’avant, de les retrouver et de pouvoir enfin les savourer. Trouver leur valeur, comprendre leur sens, et éveiller les miens qui étaient en fait juste endormis ici. Dormant sur les vallées, les montagnes, peut-être un peu apathiques et insensibles, comme engourdis ou ankylosés, assommés par une morphine délicieuse qui m’empêchait de pouvoir vivre vraiment et apprécier. Quand je reviens, les sens extirpés d’un sommeil comateux, je comprends et je me demande. Pourquoi ici la jeunesse débordante ne peut-elle pas déborder ? Coincée par le manque d’infrastructures, le manque d’initiatives nouvelles, d’idées et d’évènements, elle voit se ternir les rêves de grandeur qui la font vibrer ici comme partout, ici comme ailleurs. Pourtant la campagne est si belle, saisissante par sa nature sauvage, ses espaces libres et pittoresques, son air naïf d’être toujours là, stable et apaisée, ses caprices qui nous piègent parfois. C’est injuste. Injuste de ne pas avoir à 16 ans accès aux mêmes outils pour tenter de réaliser les idées folles qui ne nous traversent qu’à 16 ans. Quand j’ai voulu lire les magazines de mode, quand j’ai voulu voir les films en version originale, toutes ces fois où j’ai eu l’envie soudaine et curieuse d’aller goûter aux premiers délices de l’adolescence. Ces innombrables heures passées sur Internet à regarder les expo et concerts qui ne passaient qu’à Paris, ces heures perdues à penser que là-bas c’était différent, au lieu de moi-même créer de la différence ici. D’en créer beaucoup et significativement. Les petites villes ont eu raison de ces désirs inassouvis, de mes certitudes balayées par quelques regards et rumeurs qui s’évanouissent aussitôt après être nées de la dernière pluie. Née de la dernière pluie, aujourd’hui j’en reviens et j’ai compris.
La campagne est belle mais sa justice n’est pas établie. Ce misérable petit mot mignon province ; cet espace désenchanté dont on ne connaît que les vagues reliefs. Il associe le reste du pays au vide intergalactique où les jeunes comme moi semblent voués à admirer ce qui passe sous leur nez. Paris n’est pas la France. Les campagnes, les autres villes, les autres endroits dont la France devrait être fière sont oubliés sans être crédités de leur identité propre, et ne doivent pas vivre dans l’ombre de la capitale qui rayonne tant sur nous qu’elle nous aveugle un peu trop souvent. Car la campagne et ses beautés mystérieuses, dont les secrets sont chuchotés au creux des oreilles attentives, sait nous murmurer face au vacarme de Paris des vérités qui ne se trouve qu’en elle.
Amélie Zimmermann.