Simone

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Aujourd’hui, Simone Veil s’est éteinte à tout jamais. Quelque soit la manière dont je débute ici cet article, elle me semble mauvaise ou maladroite. Quelque soit l’ordre dont mes mots s’alignent, ils ne résonnent pas comme j’aimerais pouvoir entendre leur écho. Je ne peux pas leur faire justice. Simplement car ce qui doit être écrit est une réalité qui blesse, certes tous les jours, mais aujourd’hui plus encore.

Simone Veil, elle, a toujours su trouver les mots et hausser la voix pour les faire entendre. Ses paroles précieuses ont pourtant souvent été inaudibles : des parasites ont tenté d’étouffer sa voix puissante, d’étouffer les vérités qu’elle portait. Le récit de la Shoah dont elle a survécu ; le récit des femmes inconsidérées prêtes à mourir dans l’espoir de se sauver d’une grossesse non désirée ; le récit d’une France douloureuse qui n’a pas toujours eu la force de faire face aux maux dont elle a souffert. Simone Veil, par ses combats et luttes incessantes, a été la porte-parole des êtres muets, dont on a coupé la langue : elle leur a rendu leur dignité, leurs droits, et surtout leur pouvoir de s’exprimer.

Simone Veil est l’une de ces femmes de France qui s’en sont allées à contre-courant, face aux injustices, aux menaces et attaques sans cesse subies, sans pourtant s’en plaindre, sans s’y arrêter. Elle est l’une de ces Mariannes, l’une de ces femmes qui, écrasées dans un monde où la poigne virile est toujours de vigueur, s’est trouvée une place, marquant ainsi un nouveau chemin, ouvrant ainsi une porte. Or, cette porte me paraît aujourd’hui plus entrebâillée que véritablement ouverte ; et ce chemin que Simone Veil et les autres pionnières ont foulé les premières semble toujours plus tortueux et labyrinthique. Simone Veil était la huitième femme à avoir intégré l’Académie Française. Huit femmes depuis sa création, en 1635, et la première à porter son costume, Marguerite Yourcenar, se distingue en 1980 à peine. Simone Veil était une exception, et il est terrible de voir qu’aujourd’hui, finalement, elle reste pour les femmes une exception.

Ce ne sont pas les femmes, le problème. Les femmes exceptionnelles ne le sont pas tant que cela : et en France, nous les avons, nos modèles. Simone de Beauvoir, dont nous n’étudions à l’école que sa fonction d’ « épouse de » Jean-Paul Sartre (dont, au contraire, nous analysons longuement la philosophie), Edmonde Charles-Roux, résistante et journaliste, licenciée du magasine Vogue où elle était rédactrice en chef en 66 après avoir voulu offrir la couverture à une mannequin noire, Françoise Giroud, résistante elle aussi, femme de lettres et femme politique, Hubertine Auclert, la première suffragette française à réclamer les droits qui sont aujourd’hui les nôtres… Les femmes, en dépit des barrières qui ont servi à couper leurs chemins vers le savoir, se sont éduquées, ont écrit, ont expérimenté, elles ont usé de pseudonymes masculins pour être publiées, elles sont une part entière de la culture dont nous sommes aujourd’hui les héritiers. Pourtant, on continue à les enfermer dans un schéma simpliste de soumission et de passivité dont on dit qu’il a été leur seule histoire. C’est faux. Les femmes, ouvertement ou officieusement, se sont battues, et ont contribué à faire de la France le pays qui peut de nos jours revendiquer ses valeurs propres. Mais l’école oublie peut-être un peu cela, la littérature aussi, la politique aussi. Et lorsque l’oreille est enfin tendue pour saisir ce que les femmes veulent toutes dire, on ne les laisse parler que pour, encore une fois, s’exprimer sur le sexisme qu’elles continuent de subir. Certes, elles en font encore l’expérience, certes le plafond de verre subsiste toujours et il est primordial de le rappeler. Mais n’accorder aux femmes la parole que pour s’exprimer à ce sujet, c’est encore une fois taire la richesse de leurs propos, oublier leurs différences, oublier qu’elles aussi ont, simplement, des choses à dire. L’un des sujets d’histoire au concours d’entrée du Collège Universitaire de Sciences Po Paris l’an dernier était « La place des femmes dans la société française au XXe siècle ». C’est peut-être à force de trop vouloir leur assigner une seule et même place qu’elles ne parviennent pas à bouger dans la société, et que les moeurs se trouvent ainsi gelés, immobiles. C’est aussi peut-être à force de trop vouloir répéter les souffrances et injustices dont elles sont les cibles qu’on les associe au statut assujettissant de victime. Il est usant de ne se remémorer de l’histoire des femmes françaises que les souffrances et les violences, alors que précisément son histoire regorge de surprises, de talents et de passions. Les femmes ont toujours été actives dans cette société. Les réduire même à cette entité, les résumer à leur sexe, ne permet pas de les considérer pleinement en tant qu’individus à part entière. Les grandes femmes, comme les grands hommes, ne se distinguent pas par leur genre mais plutôt par leurs actes, leur pensée et leur bravoure.

Pourtant, nous sommes toujours obligés de noter les différences entre les deux sexes, puisque cette différence est malheureusement encore signifiante. Aujourd’hui, Simone Veil est morte. Peut-on lui espérer le Panthéon ? « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». Tous les jours j’ai lu cette inscription sur ce monument colossal, en passant devant, sur le chemin de mes études, allant m’instruire et m’éduquer en tant que jeune femme française. 75 dépouilles trouvent le repos dans ce havre de paix, de savoir, de fierté nationale. Quatre d’entre elles sont des femmes. Les deux dernières, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, y ont été transférées par François Hollande en 2015. Marie Curie est la première à y avoir pénétré, aux côtés de son mari. Certes, ce ne sont que des symboles, peut-être même un peu vieux jeu, poussiéreux ou démodés. Mais ce sont de tels emblèmes qui forgent une société et son peuple. Et Simone Veil, par-delà sa mort, restera pour la France le symbole d’une justice plus juste, et d’une course pour l’égalité qui, en l’honneur de sa mémoire et l’héritage qu’elle nous laisse, se doit d’être maintenue.

Amélie Zimmermann.

 

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