Quelque part, perdus, à l’angle d’un détroit de l’imaginaire de chacun, reposent des figures sans noms, des personnages sans vie. Des fictions sorties de nulle part, peut-être nées de notre acuité grandissante face au monde sensoriel qui décuple nos perceptions. L’imaginaire se développe, et parfois si vaste et parfois si vrai qu’il fait s’éclipser les certitudes de la rationalité. De mon imaginaire, j’extirpe ces personnages qui n’existent pas, qui sont sous toutes les coutures inventés, mais que je connais mieux que les êtres de chair et de sang, dont on ne sait rien. Ce sont les fantômes qui hantent l’imaginaire, les visions qui nous prennent par surprise et sans prévenir. Ce sont les filles qu’on aimerait être, qu’on ne sera jamais ou qu’on aimerait oublier. Ce sont les héroïnes d’un autre royaume.
L’inconnue c’est celle dont on se souviendra toujours sans rien ne retenir d’elle que son apparition soudaine. Anonyme, elle arpente les rues et les villes, elle rode seule et sans but. Personne ne la connaît, c’est une silhouette que l’on aperçoit dont on essaie d’imaginer la vie. On lui invente un passé douteux, des mystères et des drames, de la douleur indicible et des histoires passagères. En réalité, elle se récite sûrement les vers bizarres de Ginsberg à voix haute, elle lit en murmurant Joyce Carol Oats et Edgar Allan Poe. Elle boit son café noir et corsé, met du sucre dans le thé, elle aime être seule mais apprécie la bonne compagnie, elle n’est pas sociopathe et a lu deux fois toute la Comédie Humaine, elle rit devant des comédies françaises, écoute tourner le tourne-disque en fumant des cigarettes par la fenêtre, elle mélange beaucoup de maggie avec sa soupe, elle n’a jamais froid mais porte toujours un grand manteau, elle rougit devant les dessins étranges de toshio saeki, elle porte des sous-vêtements de coton blanc, elle perd ses affaires dans son petit appartement. L’inconnue, c’est l’étrangère qui nous frôle tous les jours, des dizaines de fois par jour. On lui imagine une vie, sans imaginer qu’elle est tout comme la notre.
Amélie Zimmermann