pudeur déshabillée, alibi démasqué

Quelque part dans la jungle apocalyptique de Twitter, un nouvel hashtag s’est distingué la semaine dernière : #balancetonporc. Il veut rendre la voix aux victimes d’agressions sexuelles ou de harcèlement pour faire entendre l’ampleur d’un phénomène qu’on minimise souvent. Mais comme souvent sur Twitter, l’effet inverse a aussi fait son chemin et donne un coup de projecteur aux idées baltringues renversant les rôles entre victime et agresseur, échangeant la responsabilité d’un bord à l’autre. Dans la lignée d’un tel raisonnement, la femme se trouve vite fautive d’avoir porté une jupe trop courte ou un tee-shirt trop moulant ; elle devient non seulement la cible mais aussi la cause de l’agression. Fatiguée de ces débats infertiles qu’il faut malheureusement continuer à tenir pour contrer de tels propos, j’ai préféré en voyant la photo partagée par Emily Ratajkowski sur son compte me poser une autre question. Alors que le corps des femmes reste au coeur des passions comme s’il était un objet sans appartenance à la disposition de tous, je me demande ce que la pudeur veut dire aujourd’hui, si elle a encore un sens et ce qu’elle dévoile de nos mentalités. Le vestiaire des femmes semble écartelé entre des opposés qui s’attirent, des interdits jugés trop vulgaires et des exubérances extrêmes et assumées. En tous les cas, ce même vestiaire semble souvent légitimer certains comportements envers les femmes, le vestiaire comme excuse cachant un problème sociétal bien plus grave. A quel moment ce qui relevait alors de ce qu’il y a de plus intime et relatif aux individus est-il devenu un alibi aux outrances quotidiennes faites aux femmes dans l’espace publique ?

tweeté par @emrata
tweeté par @emrata

Emily Ratajkowski, mannequin connue des réseaux sociaux, publie des images qui dévoilent son corps et ses formes plus qu’elles ne les laissent deviner. Elle joue de sa sensualité sur certaines photos, et sur d’autres elle se projette en tant qu’activiste et femme d’affaires, créant ainsi un lien entre ce que l’on préfère communément croire incompatibles. Aujourd’hui, montrer son corps dans sa totalité n’est plus vraiment une provocation, mais plutôt une habitude. Les images de l’espace public en sont si saturées que nous ne les remarquons presque plus. Mais quand la nudité s’interfère dans nos cercles privés, un malaise persiste. Nous sommes donc acceptants de la nudité tant qu’elle nous est inconnue ; sinon, elle nous est insupportable. Combien de jeunes filles ont-elles été victimes de slut shaming avant même d’être sexuellement actives ? Alors qu’on aime les photos évocatrices des postbad et célébrités sur instragram, les filles qui s’habillent court, moulant ou qui dévoilent leur peau sont bien vite jugées par leur entourage. C’est là toute l’ambiguïté de la société occidentale aujourd’hui. Les femmes se voient nues dans les espaces publics mais ne sont jamais confrontées à la réalité de leurs corps. Elles sont partagées entre la représentation incessante de leurs attributs aux yeux de tous, et la nécessité de devoir les cacher dans le quotidien de leurs vies. On ne se voit pas nues, au contraires d’autres cultures où cette même nudité n’est pas tout de suite associée à la sexualité (thermes en rome antique, hamams en orient, etc). Il ne nous est permis de nous voir que lorsque les formes sont inconnues, lointaines, inaccessibles.  Cette schizophrénie constante entre l’exhibition et la vision classique de la pudeur est emblématique et pose un problème de taille pour chaque femme qui doit savoir se situer quelque part entre les deux, afin d’être « acceptable », et donc acceptée.

Marie_Louise_Thérèse_de_Savoie_de_Carignan,_princesse_de_Lamballe_par_Joseph_Duplessis
joseph siffrede duplessis, marie-thérèse louise de savoie-carignan, princesse de lamballe

Quel est le rôle des vêtements dans cette relation problématique à la pudeur ? Est-ce un concept somatique ou psychologique ? Les vêtements traduisent cette relation ambiguë du corps et de l’esprit, ce jeu perpétuel entre dissimulation et découverte. La pudeur se trouve en celui qui s’habille mais aussi en celui qui voit l’autre habillé. La pudeur se ressent davantage par les habits que par la nudité ; ce sont les imperfections du paraître, un bouton malencontreusement ouvert, une fermeture mal tirée, qui laissent voir par maladresse l’intimité de nos habitudes, l’inconscient de nos gestes de tous les jours.

La pudeur ce n’est pas tout enfermer : ça peut au contraire être se dévoiler. Helena Bonham Carter disait dans une interview qu’être acteur n’est pas l’exhibition totale de soi-même, mais au contraire c’est la fuite perpétuelle, c’est se cacher. La mode offre cette même possibilité de ne plus se dévoiler à travers ses vêtements, d’utiliser l’apparence comme carapace, hermétique et impénétrable. Les jupes courtes de Twiggy, le bout des seins sans soutien-gorges à la Birkin, les « see through dresses » des célébrités… Tout cela peut-il vraiment nous dire quelque chose de la personne qui est derrière ? Il y a quelque chose qui nous dépasse dans nos corps. L’indicible alchimie des chairs, l’émotion fortuite entre deux silhouettes : on ne sait pas ce qu’il se passe, mais parfois on est troublé par une cheville qui dépasse, et parfois une poitrine dévoilée ne nous fait rien. La pudeur n’est pas fixée par une loi de l’habit le plus court ou le plus long. C’est une sensibilité accordée entre le soi qu’on montre et celui qu’on cache ; c’est l’affaire de chacun montrée aux autres, l’abandon d’un secret intérieur en pleine civilisation.

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robe swarovski, rihanna

La réflexion sur la pudeur aujourd’hui doit passer par celle sur sa voisine tout autant sournoise et peut-être encore plus à la mode : celle sur l’impudeur. C’est un terme qu’on entend souvent, de tout côtés, à la légère. La tradition dont nous sommes toujours héritiers et qui  consiste à mettre les femmes en position systématique de tentatrices auxquelles on substitue le charme, l’envie de charmer et le devoir de plaire, aide à comprendre le raisonnement derrière ce que renferme ce mot. Les cheveux, les mains, les lèvres, les hanches, les tétons : tout est chez la femme le fruit de la sexualité, l’engendrement de l’érotisme. L’impudeur serait donc de dévoiler ces attraits, quelqu’en soit la motivation. La connotation sexuelle leur étant inhérente, tout autre contexte que celui relevant du plus intime semble alors inapproprié pour les dévoiler. On parle peu d’impudeur chez les hommes, quelque soit leur attitude ou leur accoutrement. C’est tout simplement peut-être car cette figure de « tentateur » ne leur a jamais été assigné, ce qui leur permet de jouir d’une liberté plus grande et moins dangereuse avec leur corps. Les femmes, elles, ont toujours cette crainte obsédante que ce soit trop « choquant » ou trop évocateur. Ou au contraire, que ce soit prude et trop austère. Leur vestiaire est balisé de codes et d’interdits, alors même qu’il paraît plus vaste et inventif que celui des hommes. La pudeur est devenue une norme sociale de ce qui est acceptable ou non : on l’utilise comme prétexte pour déplacer un problème qui ne s’enracine pourtant pas en ces lieux. La pudeur est en fait devenue un jugement de valeur fabriqué par les règles d’un code civil de l’habit qui nous dicte quel comportement adopter pour quelle occasion. A l’heure où tout doit toujours être politiquement correct, il me semble juste de rappeler que, souvent, s’habiller n’est pas un acte politique. Et que donc la question de la pudeur devrait rester propre à chacun, et n’a plus sa place dans les débats publics concernant les abus de pouvoir sur les femmes, sur leurs façons de s’habiller et sur leurs manières d’être.

Amélie Zimmermann.

 

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