haute-couture, merci

Je me demande souvent pourquoi j’aime tant la mode. Pourquoi, au fond, ce monde étrange que je ne connais que de loin, m’est-il si cher, précieux ? Je pourrais tout autant le haïr, lui et ce qu’il représente. Il ne me faudrait que peu d’efforts pour en dresser un réquisitoire poignant et en faire mon ennemi juré. On dit que la frontière entre amour et haine est mince, illisible, et que l’un se nourrit de l’autre avec la même véhémence ravageuse. Mais ce sont toujours les collections Haute-Couture des maisons les plus prestigieuses qui me rappellent pourquoi j’aime la mode, et d’un même coup me réconcilient avec tout le reste.

La semaine dernière à Paris, une valse singulière s’est dansée sous le soleil timide de la ville. On l’aurait dite codifiée, car la valse l’est comme la Haute-Couture ; réservée à une minorité d’une minorité privilégiée, froide et même glaçante d’impersonnalité. Bref, une danse sans tournis, un bal sans vie : la valse des défilés haute-couture printemps/été 2017 aurait du l’être. La rigidité de cette institution presqu’effrayante semble déphasée avec le monde contemporain, aux antipodes des valeurs et des goûts de cet ancien temps dont le souvenir est amer. Des vêtements trop chers, ridicules car non fonctionnels, une petite liste de clients anonymes et richissimes d’un argent dont on ignore l’origine  : la haute-couture est tout de ce que l’on devrait détester. C’est une bulle détachée, suspendue, qui vole là-haut, plus près des nébuleuses que de la réalité, s’éloignant des impératifs d’un monde terrestre qu’elle snobe, qu’elle ne voit pas.

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Comprendre la haute-couture ainsi, c’est ne pas la comprendre du tout. Et cela, c’est compréhensible : comment concevoir des milliers d’heures passées à broder des fils d’or, à tisser des étoffes qui ne seront portées que le temps d’une soirée, comment concevoir des sommes astronomiques pour de simples habits ? Il ne faut pas s’arrêter à ces  considérations. Il faut entrer dans la beauté de cet univers unique sans attentes, sans préjugés, pour se laisser s’étonner et voir d’un regard nouveau la portée de ce qui paraissait alors comme futile et vain. La haute-couture n’est pas une vanité poussiéreuse. En fait, elle saisit et capte avec plus de justesse que n’importe quel art le mouvement de vie dans son tumulte et son chaos.

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Peu de maisons de couture se prêtent à ce jeu sans règles. Il est sûrement trop risqué : trop d’argent, trop de comptes à rendre, trop de pression. Mais à la fois, c’est l’occasion pour les créateurs d’exprimer leur talent dans une liberté totale. Pas de contrainte de budget, pas de contrainte de conventions : c’est le moment de l’année où leurs rêves les plus fous peuvent prendre forme. On attend pas d’eux un simple vestiaire : les vêtements ont dépassé cette fonction qui leur est propre. Il s’agit de chercher d’autres finalités aux parures du corps, il faut exploiter ailleurs de nouvelles utilités à l’habit. La haute-couture est expérimentale. Elle réinvente dans le fond et dans la forme la conception usuelle que l’on a des vêtements. Par la quasi perfection technique des petites mains (chez Valentino, l’une d’entre elles signe ses créations d’une fleur minuscule), l’incroyable richesse des matériaux de luxe, la mode s’emporte loin du cadre ordinairement de rigueur. Peu de maisons de couture, donc, mais pourtant une diversité saisissante au sein des courageuses participantes.

Iris Van Herpen donne à ses mannequins des allures d’aliens d’un monde parallèle : c’est elle qui pousse la haute-couture au-delà des idées que l’on en a. Futuriste, peut-être même visionnaire, son travail sur de nouvelles matières et de nouvelles découpes de patrons créé à travers les illusions d’optiques et les symétries (dé)structurées des normes nouvelles pour la mode. John Galliano chez Maison Margiela pense aussi l’habit sous une forme inhabituelle. Comme toujours chez lui, les tenues se succèdent dans leur élégance singulière. La mode, comme le théâtre, est le monde de l’illusion et de l’artifice. Des visages apparaissent sur des manteaux parfaitement coupés. On ne sait plus à quelle femme on s’adresse : elle dévoile son corps, mais se cache derrière un masque.

La haute-couture n’a pas d’ambition politique apparente. Mais il faut savoir lire entre les lignes, ou plutôt entre les coutures. Car tout ce qu’elle fait, la haute-couture le fait avec finesse et subtilité. La noblesse de son artisanat l’adresse à un public du monde entier : les acheteurs sont de toutes nationalités, ceux qui se contentent de l’observer les yeux brillants sont partout, connectés. Les photos circulent vite, le défilé doit pouvoir faire écho aux cultures différentes. Et c’est là que frappe la force de ce monde : il n’est pas question de fractionner les pays, d’ériger des murs, d’appropriation de culture et autres pseudo grandes idées viles et vides de sens. La haute-couture est un langage universel qui s’inspire de toutes les civilisations, qui prend de tout, comme d’un roc solide sur lequel s’appuyer. Elle taille et façonne le diamant brut à sa façon, en piochant deci delà, en  unissant des mondes, en faisant en naître d’autres. Elie Saab a puisé dans ses origines libanaises, mais aussi et surtout dans les trésors d’Egypte pour allier au chic parisien de sa maison un parfum d’Orient enivrant. Ses robes, moins décorées qu’à son habitude, portent la fraîcheur de la nouveauté (peu habituel chez Elie Saab) et d’horizons démultipliés.

Et la haute-couture ne s’adresse pas qu’aux vieilles botoxées 35 carats aux doigts. Les femmes sont ses héroïnes. Tantôt divinités, déesses vestales, tantôt intrépides ou androgynes… Il n’existe ni code ni lexique, les femmes sont : elles sont ce qu’elles veulent être, s’habillent pour flâner dans un labyrinthe bucolique chez Dior (dont la collection, romance d’une élégance infinie, a dépassé toutes mes attentes car alors déçue du premier défilé de Maria Grazia Chiuri en septembre, j’ai été ici conquise – comme quoi, la haute-couture est un terrain où il faut se laisser surprendre car la surprise y est toujours agréable). Elles s’habillent pour défier les archétypes de la féminité chez JPG, elles s’habillent, oiseaux de nuit couleur orangée, pour affronter les démons des soirées d’été chez Armani Privé. Et Karl Lagerlfeld, en faisant miroiter tous leurs profils sur des miroirs à perte de vue, rend hommage à Gabrielle Chanel et décide de ne pas conférer d’identité prédéfinie aux femmes. Selon chaque angle, chacun des miroirs, elles montrent autre chose, et seules face à l’infini de leurs reflets, elles s’admirent et sont éternelles.

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Il est très difficile de mettre des mots sur la mode, sur les vêtements, sur ce mouvement dont on ne sait même pas s’il relève de l’artistique ou de l’industriel. Ici, les robes haute-couture ne sont cousues qu’à la commande de certaines clientes, sur leurs mesures à elles : elles sont des pièces uniques, sorte d’oeuvres d’art et d’artisanat, mais font pourtant partie du microcosme de la mode, industrie tourbillonnante, business codifié. Cette ambivalence rend la haute-couture inédite. Elle touche à ce qu’il y a de plus trivial, elle attire les pouvoirs les mieux placés et les plus grandes fortunes, mais elle existe bien au-delà de ce simple rapport de biens à vendre. Tout en étant le paroxysme de la société de consommation, de la suprématie oligarchique et du m’as-tu-vu insupportable, elle échappe comme par magie à ces vulgarités et tend à d’autres fins. Peinture, architecture, cinéma, poésie, théâtre, sculpture… La mode emprunte à tout cela, elle mélange tout, syncrétisme culturel qui sort même s’inspirer dans la rue : elle ne connaît ni frontières ni limites, elle subsiste dans cette liberté presqu’écrasante qui échappe à l’entendement. Il faut être fou pour passer des milliers d’heures à construire une robe, il faut être fou pour dépenser des milliards pour pouvoir la porter. Cette démesure nous dépasse. Nous fascine. Nous fait rêver. Exactement comme le défilé Valentino. Chaque pièce était nommée d’après une figure mythologique. Les femmes évoluent dans un univers onirique, irréelles, flottant dans leur robes vaporeuses et pourtant d’une modernité au visage nouveau. C’est cela, la visée de la haute-couture. Elle vient de toutes les formes de vie pour en inventer de nouvelles, alors qu’elle ne paraît jamais concernée. Elle permet le rêve, par le voyage de la vie.« Les rêves nous rendent humains » a soufflé le créateur Pierpaolo Piccioli dans les coulisses où l’ultime métamorphose se génère. Les chrysalides sont libérées, le temps s’arrête. La haute-couture déjà nous a transcendé.

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dior (images: vogue.fr)

Amélie Zimmermann

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