EDEN-en-mer : les seins-nus ont disparu

EDEN
de toi à moi, tu, nous, à nu
là où les rêves se cueillent au creux des yeux
déchirez charnières et armures
de vos corps enchaînés
toi aussi donne moi ta peau à l’oeil nu
garçon sauvage du jardin protégé
tu te découvres
EDEN et tu me regardes
pourtant plus rien à voir que ce qu’il
est déjà vu

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Les chaleurs caniculaires du mois d’août font déserter les terrasses. Toute heure devenue trop tapante, insupportable de moiteur, il faut fuir pour trouver l’ombre. Chercher la brise salvatrice de ce calvaire calcinant. À la plage le corps peut enfin se rafraichir. Pourtant elle n’est plus l’ancien éden des années soixante-dix, et si l’été dernier le burkini causait quelques débats mal placés, il est certain que le nudisme n’est plus si prisé. Même le monokini a fui le sable blanc et les coquillages salés. La mode de la plage serait-elle devenue plus sage ? Oui et non. Car ce qui ne peut être montré est souvent ce qui peut le plus exciter : et ce pouvoir subtil de suggestivité prédomine dorénavant. La plage se rhabille et le topless décampe : phénomène de mode, d’époque, de société ?

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C’est ce qu’on dénude qui nous en dévoile le plus sur la mode et ses messages, mais on décrypte plus souvent le tissu que la peau tendue. On tombe dès lors dans le piège du vêtement « vecteur de normes sociétales » alors que le nu nous les délivre en fait bien plus. La plage est le terrain de jeu parfait, si certes miné, pour tenter de comprendre les conventions des français.es quant à leur corps, son exhibition, sa protection et (plage oblige) son mode de séduction. Et en 2018, ni seins-nus ni chibres-errants pour les jeunes générations : exit le nudisme, exit le topless, ceux-ci sont réservés aux espaces privés (à savoir, l’intérieur du téléphone). Selon une étude de l’Ifop publiée l’été dernier, si un tiers des femmes entre 50 et 69 ans ont déjà été seins nus à la plage, seules 6% des moins de 35 ans s’adonnent régulièrement à cette pratique. On y apprend aussi que le topless ne vient pas de soi, si naturel qu’il semble être, puisque le capital socio-culturel et le niveau de diplôme est déterminant pour celles qui franchissent le pas. 35% des femmes diplômées de 2ème cycle en sont adeptes contre seulement 24% pour les peu ou non-diplômées. Cette tendance à la nudité (au moins partielle) reste donc une mode comme les autres : avant de parler aux individus, elle parle hélas d’abord à leurs classes. Mais le topless reste un cas à part, puisqu’il s’agit de montrer ce que la censure nous a habitué à garder tabou. Alors pourquoi les jeunes femmes d’aujourd’hui refusent-elles de laisser tomber le maillot ?

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De nombreuses réponses courtes pourraient suffirent à répondre à la question. Le topless est une affaire de mode, d’époque, et aussi de combat. Aussi, il est normal que plus de cinquante ans après son arrivée sur les plages, il ne connaisse plus le même succès. La prise de conscience des risques de l’exposition au soleil (notamment pour le cancer du sein) est un facteur selon certains. Drôle de prétexte quand on sait que le monoï, le fake tan et les UV restent des pratiques très courantes chez bon nombre de femmes. Pour d’autres, ce sont les complexes engendrés par la grande et terrible industrie de la mode, mais aussi celles du porno et de la pub, qui sont à la cause. Mais quelle femme dans les années 80, alors que les supermodels envahissaient les unes, pouvait vraiment vouloir faire la compète à ces canons inatteignables, assise sur son paréo ? Cette machine à complexes a été engendrée bien avant l’apparition du topless, et ce n’est pourtant pas cela qui a arrêté nos mères, leurs soeurs et leurs amies. Pour elles, dégrafer le haut de maillot était une revendication de liberté, un acte quasi politique. Une mini rebellion personnelle. Une manière de contourner la censure en brandissant tétons et majeur à la fois. Beau pied-de-nez vindicatif mais plein d’amour à leur société patriarcale, misogyne et discriminante. Si beaucoup de choses ont changé en cinquante ans, celle-ci semble s’être tristement figée. Mais moi, mes soeurs et mes amies, nous ne voyons plus le topless de la plage comme une arme contre le sexisme. De toute façon, aujourd’hui, pour que le topless puisse passer un message digne de l’attention des médias, il est presque automatiquement attribué aux Femen ou aux Kardashians. Bref, tout le monde s’en fout, désormais, qu’un sein soit caché ou exhibé.

C’est peut-être pour cela que le topless n’est plus si important, et que ma génération n’y voit plus d’intérêt : notre relation au corps a changé depuis l’époque de nos aînées. À cette époque où toute la cartographie du corps féminin, alors si controversée, commence à se dévoiler (au feu les soutiens-gorges, à l’air les cuisses sous les minijupes), faire seins nus à la plage avait un sens. Aujourd’hui, on ne plus en faire un outil pour une revendication politique quelconque, puisque le corps féminin n’est ni choquant, ni inusuel, ni tabou dans notre quotidien. Au contraire, ce serait peut-être encore l’exploiter, et certains y verraient un acte déplacé (ou même manqué, pour les freudiens endimanchés). En fait, être seins nus pour une femme relève désormais de son propre choix individuel. Et si les jeunes femmes n’y pensent même plus, ce n’est pas le retour à la pudeur rêvée des conservateurs. C’est juste un changement de modalité dans notre rapport à notre intimité.

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Le beachwear actuel nous prouve son audace et son appel au désir : les maillots n’ont jamais été aussi échancrés, les nuisettes de plage sont tissées en transparence, les corps sont tous huilés, les trikinis ressemblent parfois à des costumes SM (par où faut-il passer la jambe, s’il-vous-plaît ?). Car oui, ce ne sont pas les trois centimètres sur trois de tissu recouvrant le téton qui peuvent nous empêcher de retomber dans le péché capital le plus en proie lors de telles chaleurs… Seulement, les jeunes savent qu’il est désormais plus aisé de se dévorer des yeux à travers l’écran : la plage est en quelque sorte le garde-chasse de ce qui se fera, peut-être, plus tard. IRL ou virtuellement. Mais en toute tranquillité ; alors pourquoi vouloir perturber la pleine sérénité de cet espace public ô combien dangereux ? Parce que l’eden paradisiaque de l’été reste surtout le lieu impur et fantasmé du crime de chair, douce luxure des regards discrets mais bien ouverts, où chacun se dore la pilule le dos tout à fait cambré…

Amélie Zimmermann

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