

A quoi pensent-elles ? Quels sont leurs rêves, leurs peurs ? D’où vient cette moue qui ravage le coeur, ce regard électrique qui foudroie ? Pourquoi toute cette émotion sort-elle d’une simple image plate et sans vie ? La mode est un monde visuel, pictural, dont les images par milliers ont fait le siège. Parfois, d’une photographie peut émaner une puissance inégalée, magistrale, presque écrasante. Il suffit qu’elle tombe sous nos yeux pour qu’instantanément quelque chose de tout à fait inconnu s’éveille en nous. Comme si le déclic de l’appareil photo était le substitut nécessaire à un déclic différent. Celui qui niché au fond de nous même nous fait comprendre et contempler le monde.
Cette fascination pour les apparences (ce que l’on voit, avant tout) s’est exacerbée aujourd’hui avec la prolifération de nos médias et la multiplicité de nos réseaux sociaux. Tous nous gavent d’images et nous, nous en redemandons, insatiables et réjouis par ce festin gargantuesque. A tel point que prendre des photos, en regarder, les jeter ou les oublier, est devenu un réflexe intégré par notre corps et par notre esprit. Il ne s’agit pas de regretter une époque où l’on chérissait les tirages tant ils étaient rares. Aujourd’hui, nous les chérissons tout autant mais d’une autre manière. Dans l’immensité de ce monde pixelisé, comment créer un contenu assez fort pour retenir l’attention, pour capturer l’intérêt ?
En regardant ces photographies, je m’imagine le modèle enfiler la robe. La soie glisser sur sa peau, sa peau devenir une nouvelle mue. La maquilleuse épousseter ses pinceaux, le photographe en quête de l’unique cliché que l’on retiendra dans toute sa carrière. Tout est à imaginer en regardant ces photographies de mode. C’est sous notre oeil attentif qu’elles existent. C’est à nous de les interpréter, de les décoder. Autrement, si le charme n’opère pas, elles restent figées et statiques ; elles ne nous disent rien et nous n’avons rien à leur dire. Je les regarde et je laisse mon stylo courir sur la feuille. Elles ont fait émerger devant moi tout un monde nouveau, qui n’appartient qu’à moi d’explorer.
A Paris, à la Maison Européenne de la Photographie, un hommage est consacré au travail captivant de Herb Ritts, photographe de mode publié par les plus grands magazines de l’industrie et convoité par tous les grands noms de son temps. Chez Colette, rue Saint Honoré, c’est devant les clichés de Arthur Elgort que l’on semble saisi d’une émotion inconnue. Ces photographies ne sont pas seulement l’artifice d’un monde superficiel et détaché de la réalité. Elles représentent la vie, à un moment donné. Les moeurs sociales, les conventions, les idées de ce qu’est le beau, le laid, l’habit, l’identité. Leur histoire nous raconte les tabous des sociétés, leur complexité, leur évolution. Elles sont le témoin d’un mouvement de vie qui subsiste même une fois que celle-ci s’est arrêtée, à travers elles. Car elles sont intemporelles. Les corps, les regards nous fixent pour toujours. Qui est cette femme ? Que cherche-t-elle à dire ? Qu’incarne-t-elle ? Ces questionnements sont éternels. Le trouble reste le même.
Amélie Zimmermann