vite, tu marches, dépêches toi déjà en retard, ton écran te dit de ne regarder que lui, tes enjambées ancrent ton poids dans le sol, tu sautilles sur place, le froid mord tes doigts, gelés, rougis, le bruit de la ville dehors qui ronronne en toi, te fais oublier tes pensées, tes yeux devant toi ou fixés au sol, pas d’arrêt une destination unique et sans retour, le paysage urbain sous tes pas s’abandonne, tu l’oublies, robot ou automate ton chemin est journalier, tu ne fais pas de détour
la cohue du dehors s’anime, il est huit heures zéro neuf et le monstre est éveillé, les gens errent dans les rues, tous fantomatiques dans cette brume matinale, c’est bien la brume, non, la pollution et les gaz qui s’échappent forment des formes singulières, s’évanouissent dans les airs, les airs chauds et trop épais qui te font tousser tes yeux piquent, ton nez coule, les bâtiments noirs sont dressés devant toi oppressants, ils ressemblent aux poumons d’un vieux fumeur, la ville coasse déjà elle ne s’arrêtera plus, tous pris dans l’élan de son inertie infernale
depuis 3 jours la ville a dépassé le seuil de pollution, l’annonce dans le métro le répète incessamment, les transports sont gratuits, la voix monocorde et monotone ne se fatigue pas pourtant elle est lasse, elle est lourde, on s’engouffre dans le métro et déjà elle nous perce les tympans, on aimerait ne pas l’entendre, on veut l’ignorer, elle ou le message qu’elle transmet, comme une alerte inespérée et tout à fait inaudible, on s’en fout on est déjà dans notre journée, trop de choses à faire et peu de temps, quelques regards mal assurés on ne se voit pas ou juste dans les reflets, il faut aller vite, le métro zigzague et arrive à quai, enfin
dehors le chemin continue, tu fixes le bout de tes pieds, tu te sens fatigué, mais qu’est-ce qui va pas, tu essaies de comprendre mais sans vraiment le vouloir, tu passes devant la boulangerie où la même petite vieille achète une baguette, tu prends le trottoir gauche et tu frôles un enfant en trotinette, imperturbable dans ton périple tu ne te retournes pas quand tu entends un gyrophare, tes mouvements sont ceux dont tu uses tous les jours, tu presses le pas, impatient de rejoindre le bureau chauffé et le confort d’un espace clos, les rues défilent fuyantes insignifiantes, ton ombre se profile tu te sens différent, bizarre, vaguement épris d’un sentiment de déjà-vu tu t’arrêtes pour la première fois
ton oeil rond et avide n’attend que de découvrir ce qu’il s’y passe, au-dessus de ta tête et plus loin que ton nez
Lève tes yeux. Observe, regarde, contemple et nourris toi de ce qui t’est offert gratuitement, ce spectacle que toi, indifférent, tu dédaignes tous les jours. Courbe la nuque, le ciel est magnifique. Percé de nuages, pourpre ou ambre il pourrait te déchirer le coeur, faire vibrer ton échine. Il a bien plus à te dire que les parasites qui encombrent ton esprit. Oublie tes habitudes, emprunte un nouveau chemin. Inspire. Pense au présent, vis le présent comme une expérience unique et savoure la.
Lève tes yeux et embrasse du regard ce que, enfin, tu vois.