streetstyle à barbès

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Barbès, 11 heures du matin. Le quartier est animé, ça grouille un peu partout, la rue s’active dans une sorte de transe frénétique. Tout le monde vaque, tout le monde dans l’anonymat. On se croise, se voit, quelques éclats de rire, tout le monde pourrait être n’importe qui. C’est de cela précisément dont je voulais témoigner. Appareil photo pendu au cou, on ne me dévisage pas, même lorsque le viseur est collé à mon oeil avide d’images nouvelles, le doigt accroché au bouton, prêt à décocher son arme fatale contre laquelle ils ne peuvent rien. C’est ici que je voulais faire un court reportage.  C’est ici, précisément, qu’il était important d’en faire un.

La Fashion Week de Paris met la ville sous les feux de la rampe : encore une fois, on va s’émerveiller de cette élégance française, on va s’enthousiasmer de nos ciels gris et de notre gastronomie, on va se passionner pour cette silhouette insaisissable, la « parisienne ». Paris clôture le mois des défilés de prêt à porter automne/hiver 2017-18. C’est la cerise sur la gâteau, la crème de la crème, c’est le baiser d’adieu d’un amant à quai. Fougueux, tendre, amer et déjà mélancolique. Les photographes vont arpenter les rues pour immortaliser les look les plus insolites ; extravagance travaillée, insolence cultivée de ces street style qui vont donner le ton de la saison.

img_2362img_2336Tout cela me réjouit, bien sûr. Pourtant, depuis quelque temps, j’observe à distance et en cachant mal mon ironie cette passion de la mode de la « rue » saturer les réseaux, remplir les pages des magazines, envahir les podium (supreme x louis vuitton, par exemple). Les marques « street » ne sont plus street du tout. Leur message même, qui constitue en quelque sorte leur essence ou du moins leur éthique, est complètement biaisé. Supreme, Fila, Champion, A Bathing Ape, Thrasher… Marques anticonventionnelles, promouvant la culture streetwear en passant pour la plupart par le skate, la musique (rap), la jeunesse et ses déboires : il n’en reste qu’une idée un peu lointaine. Pour la plupart, notoriété oblige, les prix ont très vite grimpé sur le marché. Soit : il n’est pas impensable de vouloir entretenir un côté mode de rue tout en assurant une qualité certaine dont il va falloir payer le prix (bien que parfois, un peu excessif pour une pièce de coton). Le vrai problème, selon moi, ou plutôt l’incohérence totale face à laquelle je reste perplexe, réside dans l’uniformisation de ces marques qui se revendiquaient d’abord inédites, originales, porteuses de nouveaux canons, d’esthétiques diversifiées. En marchant dans Henri IV, j’ai vu une jeune collégienne de 13 ans à peine porter un sweat Thrasher. Savait-elle au moins que Thrasher était, avant d’être la nouvelle institution du cool, un magazine de skate revendiquant une culture alors laissée de côté ? Errer dans Colette me laisse seule face à de similaires spéculations, entourée de silhouettes street bien plus à la mode que moi. Mais la culture street n’est-elle pas faite pour innover ? Proposer de nouveaux codes et entrer en collision avec la mode dont la portée exclue bien souvent tout un pan de la population ? Or, maintenant le streetwear se range à ses côtés, sur les bancs des premiers rangs des défilés. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose : la dernière collection Homme de Louis Vuitton en collaboration avec Supreme, malgré la pointe de sarcasme qu’elle suscite en moi, m’a séduite. En plus d’être franchement réussie, elle représente l’essor et l’apogée du géant de la sape street, qui a commencé incognito dans une petite boutique à NYC, et qui grâce à ses collaborations audacieuses a su se démarquer et s’imposer comme référence ultime dans l’industrie.img_2343img_2368Mais justement, depuis, tout ne semble que vague répétition de ce modèle. Ou alors pâle copie de la ligne Yeezy de Kanye West. Comme si la mode de la rue s’était rangée bien sagement, suivant, yeux fermés, les grosses têtes derrière cette machine à dollars. Comme si, en fait, elle s’était tue. Alors bien sûr, comme tout phénomène de société, et comme on peut l’observer chez les grunge, les hippies, les hipsters etc, ces mouvements de frénésie vestimentaire créent un sentiment d’appartenance à un groupe. Une nouvelle idée du beau, du portable, une nouvelle idée de la mode en émanent. Et la mode, insatiable, s’en inspire toujours.

img_2340img_2349Pourtant, en marchant à Barbès, je me balade à travers les merceries, les marchands de tissus, où des fringues sont roulées en boule dans des bacs, vendues à 1€, où l’on peut croiser des sappeurs aux tenues chatoyantes, des gosses qui jouent, des vieilles au dos courbé. Des gens sans nom, sans visage, les gens de la rue. Le vrai street style est au plein coeur de la ville : ici, il prend tout son sens.

Amélie Zimmermann.

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