Quelque part, perdues, à l’angle d’un détroit de l’imaginaire, reposent des figures sans noms, des personnages sans vie. Des fictions sorties de nulle part, communes à chacun, ici réanimées. Ce sont les filles qu’on aimerait être, qu’on ne sera jamais ou qu’on aimerait oublier. Ce sont les héroïnes d’un autre royaume. Enfin ramenées à la vie.
Jeune fille à la perle. Une fois peinte, maintes fois observée. Dans ton cadre tu demeures, impassible, calme, soumise aux lois des voyeurs, farouches animaux blessés. Tu es une curiosité hypnotisante, toi qui détiens le pouvoir magnétique des êtres obsédants. Figée derrière ta glace, tu demeures. On a fait de toi une muse, une idole, une femme sans nom, une femme fantasme. Piégée par la mise en scène de toi-même, tu es le fruit d’un charme corrompu – celui orchestré des gens qui t’ont faite sépulture de beauté. Etourdissantes sont les clameurs autour de toi, qui t’élèvent mais t’emprisonnent dans ta prison dorée. Les périls de s’offrir gratuite à ceux qui te regardent t’ont lassées. Femme miroir de notre société où à travers l’écran d’un rêve-cauchemar les gens s’admirent. S’entre-flattent et se rassurent. Ils sont comme toi, statue immobile dans un musée, le musée vertigineux des égos pris en capture. Les égos veulent devenir oeuvres d’art en se résumant à des profiles, et la femme fantasme derrière son écran est réduite au regard de celui qui l’admire. Toutes veulent devenir des jeunes filles à la perle, à s’épier et à scruter derrière le tableau de leur vie, condamnées au mutisme de celles qui ne doivent que plaire. Les jeunes filles aux bouches cousues. Et tous, tout juste bons à être admirés, comme toi, voleuse de nos coeurs par la tendresse de ta chair, de ta lèvre tremblante et de ton oeil humide. Tu n’es qu’un mirage. Eux veulent le devenir, à force de s’enfermer dans leurs rôles de personnes aimées, regardées, jalousées de ce qui n’est pourtant que le reflet d’un de leur trait. Tu es l’ombre de toi-même, volée par leurs regards dévorants.
Quels sont les mots retenus entre tes lèvres cousues ? Quelles sont les ombres qui dansent derrière tes yeux ?
Amélie Zimmermann