la mode est malade : l’esthétique de la souffrance

Schizo-panaroïde, bipolaire, hyperactive et maniaque, sûrement mégalomane, la mode cumule les pathologies. Industrie borderline par excellence, elle a su cultiver son goût des obsessions pour faire de ses tares le nectar d’où extirper l’imagerie digne de ses démons. Dysmorphophobique, mélancolique et franchement frigide, elle distille dans les corps le pus qui coule de son abcès crevé : la mode est anxiogène. La mode tue. Pourtant elle est aussi l’antidote qui permet parfois aux corps de se relever. Mais tout anxiolytique est addictif et la mode propage bien vite les effets secondaires de sa composition chimique demeurant à ce jour inconnue…

5.-Alexander-McQueen
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Ainsi la mode cacherait son venin derrière une fard immaculé. Mais en plissant le nez, on sent l’odeur d’acétone remonter ; la mode, qui sert de vomitif aux jeunes filles, se joue de nous et investit ce qui en nous est le plus vulnérable. La tendance est aux troubles mentaux, car depuis que cute but psycho a envahit l’Internet, une esthétique morbide tourne dans toute l’industrie. Tout doit ramener à la déviance, moteur centripète de l’attitude désormais jugée fashion.
Il est important d’aborder les troubles mentaux et de lever les tabous. Il est du devoir des pratiques artistiques que de se pourvoir des non-dits pour en faire leurs fétiches. Or, quand la mode s’empanache des maladies psychiatriques, la question se pose : comment encadrer l’esthétisation de la souffrance ? Pire : est-elle légitime, ou faut-il la prohiber ?

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S’il le fallait, beaucoup d’artistes, au-delà de la mode, devraient renoncer à leurs carrières. Lana del Rey et ses balades enchanteresses, ses paroles à la Nabokov et ses désirs désinhibés seraient à proscrire. À trop avoir romancé la dépression, Lana fait partie d’une frange d’artistes que bon nombre de moralisateurs, bien connus de la twittosphère, auraient depuis longtemps pulvérisés. À vouloir tout jauger en potentiel problématique, on y perd le vrai problème : la souffrance est belle. Du moins, elle semble l’être. La souffrance inspire. Elle permet les émois en germe, la rédemption. Elle est banale. Elle nous parle, quoiqu’elle dise, elle s’adresse à tous là où le bonheur s’effrite dès qu’il doit être partagé.

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La mode doit porter ce bijou rompu avec précaution ; peu subtile, elle l’a pourtant taillé vulgairement et voilà que les maladies mentales sont désormais enviables pour être sociable, cool et branché. Seule la mode est capable de pareilles antithèses. Tout est né de l’esthétique Tumblr. Réseau d’images en abondance, les fashionista ont parasité le site jusqu’à l’ascension d’Instagram. Les photos de ciels déchirés, les blogs pro ana, les citations dépressives… Effy Stonem devenue égérie de cet empire des âmes en peine, il a fallu faire couler le crayon sous les yeux pour être stylé. Drôle d’esthétique que celle d’un réseau social où l’anorexie, l’anxiété et la phobie sociale terminent gagnantes au jeu des likes.

Sur Instagram, près des posts bandés par une bodypositivité creuse et intéressée, il y a les posts de Corinna Kopf. Mannequin Instagram aux 2 millions d’abonnés, elle vend des teeshirts et pullovers où sont inscrits des slogans sur l’anxiété. Sa légende, « anxiety sucks. new drop. », est la caisse de résonance d’une hypocrisie grâce à laquelle est généré beaucoup d’argent.
De même, de nombreux youtubeurs ont collaboré avec BetterHelp, une application payante aux thérapies virtuelles. Le youtubeur, payé au nombre d’inscrits, maquille une coquète somme sous l’effet d’un beau geste. Là voilà, notre médecine du futur, où l’on s’examine au travers des écrans. Mais l’auscultation pourrait mal tourner, car le danger de ces outils, c’est de normaliser des comportements qu’il faut en fait soigner. Les influencueurs influencent, oui mais quoi ?

 

 

Il est pourtant possible d’aborder les troubles psychiatriques par la mode. Elle est elle-même une névrose, coincée entre le corps et l’esprit, elle y trouve une fenêtre inédite pour construire une réflexion intéressante sur notre rapport à notre santé mentale. L’approche la plus percutante à ce jour demeure celle d’Alexander McQueen, pour sa collection printemps/été 2001.
Les mannequins sont enfermées dans un labyrinthe de verre. Elles se cognent à ses parois, leurs corps désarticulés semblent trahir une chrysalide sur le point de se briser. Le crâne est bandé, les yeux vitreux, les vêtements se démantèlent. Il y a dans cette mode une pureté dont la grâce trahit la fragilité de notre psyché. La métaphore se clôt avec l’ouverture d’une boîte d’où s’envolent des centaines d’insectes. Le corps du mannequin en est recouvert, presque déjà putréfié. On assiste à la dissémination de l’espèce humaine : chacun est seul et cloîtré depuis son organisme qui lui sert de mirador, chacun coincé dans un corps qui sert d’enclave .

 

 

C’est peut-être parce qu’il faut souffrir pour être belle que la mode a érigé la douleur en norme toute puissante. En un sens, elle a eu raison : souffrir régule, souffrir permet à l’énergie de ne pas coaguler, mais au contraire de se tendre sans jamais s’arrêter. Mais en maniant les troubles psychiatriques, elle s’affaire à des connexions cérébrales qui s’établissent mal, à des dérèglements chimiques qui terrorisent ce qui nous reste de rationnel. Or, la rationalité, ça n’est pas pour la mode. Il faut donc la manipuler avec précaution : ses manigances ne connaissent pour limites que celles qu’on décide de lui poser. La mode est une folie et nous lui servons d’asile : à nous, parfois, d’ouvrir la porte.

Amélie Zimmermann

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