lettre ouverte à celle qui s’échappe quand on la cherche et qui surgit quand on la laisse s’échapper
‘ A toi ma chère inconnue,
Indicible beauté, fugitive vision des rêves évanouis : jeune anonyme aux allures fières tu disparais quand les regards se posent sur ton ombre, laissant résonner derrière toi l’écho d’un mystère sans nom. Tu t’éloignes quand je te touche, tu t’éloignes quand nos regards croient se croiser, nos yeux croient s’être vus, nos corps déjà trembler de croire s’être frôlés. Peut-être marches-tu sur une route solitaire ; peut-être retrouves-tu les sentiers battus où tu te dévoiles tout à fait, tout à fait sûre de n’être vue par personne. Ton absence à nos vies, toujours, comme un manque cruel laissant croître en soi le vide de sens de nos vies malades.
Où disparais-tu ? Il suffit d’une image éclair, d’un reflet trouble. Ton existence intangible te crédite des délices de l’illusion. Sans nom, sans parole, sans corps : définition négative de ta personne. On sait ce que tu n’es pas, on t’imagine sans te trouver. Expérience empirique impossible, tu es la métaphysique d’un sens qui nous manque. Où disparais-tu ? Ils t’ont donné des prénoms, des visages multiples, à te définir ils t’ont perdue pour toujours. Echappée belle et ébahie de l’engouement de tes princes, tu t’es éclipsée dans le mouvement infernal d’une toupie qui ne s’arrête jamais et tourne sans ne regarder que le point fixe devant elle.
Ton parfum toxique parle pour toi, ton odeur là où tu es passée remplace l’oculaire et le toucher, de ne t’avoir pas vu on te perçoit déjà mieux. Désir de te parvenir décuplé. Têtes embaumées, drogués de ta drogue douce et vengeresse, ton poison se distille déjà dans nos veines gonflées de sang. Nous devenons impétueux. Fleur vénéneuse te goûter c’est nous tuer, fleur vénéneuse tu connais les affres de tes pouvoirs infernaux et t’en sers pour nous faire nous vider de nous, à trop vouloir te contempler. Ton espoir de nous dégoûter et te libérer de nous ; t’affranchir, partir, t’échapper, nous laisser dans la bouche le goût âcre d’un souvenir à moitié oublié. Abrutis dans la misère de nos vies dépravées, nous ne te chercherons plus.
Tu n’es qu’une idée.
Tu n’es qu’une idée.
Te chercher est une quête. Tant que les désespérés qui en voulant te trouver, acharnés, magnifieront le monde en le balayant du regard, te cherchant toujours furieux et naufragés, nous ne nous résignerons pas. Et par l’art, tu seras éternelle et sacrée, maîtresse sur cette terre comme Junon sur l’Olympe. Par l’art, tu vivras. ‘
Amélie Zimmermann.